Critique #075 – La fille dans le brouillard de Donato Carrisi

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Depuis son arrivée dans les librairies francophones, Donato Carrisi est devenu un auteur dont le talent semble ne plus avoir à être démontré. Avec La Fille dans le brouillard, Carrisi proposeune narration différente tout en gardant sa plume distinctive. Y est-il parvenu ?
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MERIC AU LIVRE DE POCHE POUR (5)

Merci à Anne pour ce voyage dans les Alpes, mais pour y faire du tourisme


Donato Carrisi possède de multiples casquettes puisqu’il est non seulement romancier, mais aussi journaliste, dramaturge et scénariste. Né dans la province de Tarente, en Italie, Carrisi est juriste de formation spécialisé dans la criminologie et sciences du comportement. En 1999 il s’oriente vers l’écriture de scénarios pour la télévision mais aussi pour le théâtre. Son premier roman, Le chuchoteur, est directement inspiré de sa thèse sur un tueur en série italien, Luigi Chiatti alias le monstre de Folgiono, qui en 1992 assassina deux petits garçons de 4 et 13 ans. Actuellement il purge une peine de prison de 30 ans. Le Chuchoteur est donc son premier roman qui parut en 2009 et en 2011 au Livre de Poche. Ce roman donnera naissance à une saga littéraire qui met en scène Mila Vasquez, une experte dans les affaires d’enlèvement. En Italie, le livre se vendra à plus de 200 000 exemplaires, a remporté plusieurs prix et est édité dans douze pays. En 2013 paraît le deuxième titre, L’écorchée. Mais deux années avant, l’auteur se lança dans une nouvelle série mettant en scène un duo atypique Marcus et SandraLe tribunal des âmes en est le premier volet, suivit en 2014 de MaleficoLa fille dans le brouillard (La ragazza nella nebbia) est paru en français aux éditions Calmann-Lévy le 31 août 2016, et en poche chez Le Livre de Poche le 18 octobre dernier.

Après m’avoir emmené dans les ruelles de Rome afin de me torturer les méninges, avec Le tribunal des âmes (mon avis ici), Carrisi m’a cette fois-ci embarqué dans le village d’Avechot au cœur des Alpes . C’est donc le temps d’un one-shot, indépendant de ses deux séries phares, que je me suis plongée dans cette nouvelle enquête inédite. L’histoire débute avec la supposée fugue de Anna Lou, une jeune fille sans reproches, la veille de Noël. N’ayant aucune piste ni aucun suspect, le commissaire Vogel – l’as des as – est envoyé sur les lieux. En plus d’être brillant, Vogel est aussi un personnage médiatique dont les flashs et les caméras raffolent. Mais quand ce dernier réalise qu’il n’arrivera pas résoudre cette enquête sans indices, il prend la décision de fabriquer lui-même les preuves afin d’arrêter celui q’il pense être le coupable.

Si le récit s’inscrit dans les thrillers typiques, le style de Carrisi impose une narration plus ardue avec notamment la présence des médias. Si au départ je redoutais un peu de me retrouver à devoir prendre une cure de vitamines cérébrales afin de ne pas me perdre dans les doubles, voir plus, histoires en une, j’ai été surprise de constater que le fonctionnement était différent. Déjà, il y a l’ambiance qui se veut vraiment loin du Tribunal des Âmes. En effet, ici pas de corps mutilés ni de sang, puisqu’il n’y a tout simplement pas de corps ! La variante que jouent les médias ici est très intéressante du fait que chaque information ou témoignage peut venir faire basculer l’enquête aussi bien dans le bon comme dans le mauvais. Si la disparition est le moteur du scénario, il n’en reste pas moins que le véritable carburant de l’histoire est Vogel et sa manipulation des médias afin de nourrir son ego et ce qu’il pense être la “réponse” à la “question”… et pour l’argent aussi.

La capture du coupable nous donne l’illusion d’être en sécurité et au fond cela nous suffit. Mais il y a une meilleure réponse : parce que la vérité nous engage , nous rend complice. Vous avez remarqué que les médias et l’opinion publique , ce qui veut dire tout le monde, pensent au coupable d’un crime comme s’il n’était humain ? Comme s’il appartenait à une race extraterrestre , dotée d’un pouvoir spécial : faire du mal. Sans nous en apercevoir , nous en faisons…. un héros , déclara -t-il avec emphase. Alors que le coupable est généralement un homme banal , dépourvu d’élans créatifs n incapable de sortir de la masse. 

J’ai trouvé cet aspect vraiment fascinant à suivre puisqu’elle fait écho au traitement de l’information de nos jours qui voit chaque journaux, chaînes infos, etc lutter pour être le plus rapide dans la communication de X ou Y affaire sans pour autant toujours vérifier s’il ne s’agit pas de “fake news”. Il y a aussi une part de réflexion sur notre curiosité qui nous pousse à regarder en béatitude les informations tragiques, et puis passer à autre chose sans sourciller. Donato Carrisi pousse non seulement son lectorat à se poser des questions sur la vérité même mise en avant dans les infos mais aussi face à l’influence que peut avoir une information sur nous en tant que “simple spectateur”. 

Le personnage de Vogel du haut de son apparence de « monsieur-je-sais-tout » dérange et charme à la fois. Son culot et sa soif de reconnaissance contrastent avec la vraie nature d’un enquêteur qui se doit de retrouver le véritable coupable, et surtout retrouver le disparu. D’autres personnages viennent s’ajouter à l’intrigue, notamment la famille Martini, fraîchement débarquée dans le village qui entre aussi dans la psychose affectant le village tout entier. Comme je l’ai dit plus haut, ici, le style de l’auteur est différent et rend le livre plus facile d’accès aux lecteurs qui se sentiraient peut-être un peu trop perdus dans ses romans précédents. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que l’on s’y ennuie, au contraire. Le texte est riche et fait la part belle au côté sombre que l’on aime retrouver dans les thrillers. La construction est propre et savoureuse, même si elle souffre d’un manque de rythme en début de roman.

La télévision avait cet effet-là. Comme si les mots et les gestes prenaient une consistance nouvelle.
Autrefois, elle se contentait de reproduire la réalité, maintenant, c’était le contraire. Elle la rendait tangible, consistante.

En conclusion, j’ai adoré retrouver cet auteur pour cette deuxième lecture, dont la maîtrise de l’écriture se déguste. Un roman noir dressant une fresque des médias, du manque de recul mais aussi du matraquage pervers. Si vous n’avez pas encore découvert Donato Carrisi, laissez-vous happer par la psychose de La fille dans le brouillard.

Infos roman (29)

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