Un auteur, une plume #002 – Interview avec Eric Warnauts & Guy Raives

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Le 27 avril dernier se tenait le 32ème Salon du Livre de Genève, avec plus de 1000 auteurs de romans, des artistes de bandes dessinées et des intervenants. À cette occasion j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec le duo Warnauts & Raives, associés depuis trente ans. En ayant la particularité de travailler « à quatre main » le binôme à créé de nombreux ouvrages dont « Les suites vénitiennes« , « L’Innocente« , « Les Jours Heureux« , et « Les Temps nouveaux« , pour ne citer que les titres parus aux Éditions Le Lombard. Véritables conteurs des moments marquants de l’Histoire humaine, ils possèdent le talent et la réflexion nécessaire pour se permettre d’y revenir en mettant l’accent sur l’humanité qui en découle. Avec « Sous les Pavés » paru le 27 avril dernier, le tandem prend le cas de Mai 68, en France, pour nous faire voyager au grès de leurs coups de crayon aux sensations de romance, de révolution, d’humanisme et d’interrogation face au lendemain.

Retrouvez Warnauts et Raives sur leur blog :

Warnauts & Raives

Découvrez les autres titres du duo sur le site des Éditions Le Lombard

POUR LIRE MA CRITIQUE DE « SOUS LES PAVÉS » CLIQUEZ ICI

Je remercie chaleureusement Anne-Catherine de Dargaud Suisse pour m’avoir donné l’opportunité de faire cette rencontre, et d’avoir découverts deux auteurs en or.


 1. Comment est née votre collaboration ?

Guy RAIVES (Coloriste/Dessinateur/Scénariste) : Tu remontes loin là, avant 1985. Il [Eric WARNAUTS] a fait l’école supérieure des Arts Saint Luc et j’ai fait les Beaux Arts. On avait des amis communs et puis à l’époque il avait le service militaire, donc à un moment donné j’ai aidé Eric à faire des couleurs parce qu’il avait déjà des contrats et qu’il fallait avancer. Et puis je cherchais un scénariste, on s’est plu, on est tombé dans les bras de l’un et de l’autre directement. On a commencé chez un tout petit éditeur avec une relation normale c’est-à-dire scénariste et dessinateur. Et après le premier album on était partie sur une idée de faire la série « Lou Cale » où on a essayé de démarrer à deux pour dessiner, et ça a été tellement agréable que l’on n’a pas arrêté depuis.

2. Dans vos séries, pourquoi choisir des thèmes autour de l’histoire avec un grand H, que se soit politique, sociale, relationnel et sexuel ? Comment collaborez-vous sur un même projet quand vous êtes tous les deux scénaristes et dessinateurs, pour avoir une cohérence et qu’à la fin le projet soit lisible ?

Eric WARNAUTS (Dessinateur/Scénariste) : Dans notre travail on discute, c’est aussi le fruit de lectures, de voyages et de rencontres. Et puis à un moment donné il y a quelque chose qui s’impose, un thème qui commence à nous plaire. Vient la maturation qui peut aller vite ou prendre plus de temps. On a thème et on tourne autour, et puis à un moment donné on sent que c’est le bon moment. On se met dans l’écriture, on a un squelette ou comme on dit un chemin de fer, on sait à peu près les scènes qu’il va y avoir, et je commence à écrire. Je file ensuite le scénario à Guy sous forme un peu de nouvelles où on voit ceci vu d’untel etc. Et une nouvelle c’est parfois très long alors que c’est juste deux cases. Puis, Guy restitue ça et me ramène un premier découpage. C’est donc lui qui revisite le scénario, ce qui est intéressant puisque cela permet – comme on le craint – d’éviter de refaire ce que j’avais déjà vu. Par la suite les pages circulent, dessins, et un moment donné c’est ok. Maintenant, avec l’ordinateur, Guy scanne le trait, les dessins et l’encrage, puis il met en couleurs et finalise avec l’informatique les incrustes etc.

RAIVES : Ce sont vraiment des va-et-vient de pages, c’est un dessin qui se fait comme un mille-feuille, couche par couche. Quand le crayonné est totalement fini  on le redessine avec l’aquarelle, parce que le papier ne supporte pas certains trucs. Et une fois que c’est redessiné, je mets en couleurs. Mais le va et vient se fait aussi au niveau de la création. Il y a des sujets parfois qui nous ont pris plus de dix ans avant de se mettre en route. Il faut qu’on ait assez de matière pour démarrer. On est très éclectique, on a beaucoup d’idées – dont certaines n’aboutiront jamais. 

WARNAUTS : On ne traite pas un sujet sans légitimité.

 

 

 

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3. Votre nouvelle bande dessinée “Sous les pavés” est un récit relatant les événements de Mai 68 qui a ébranlé toute une génération en  France, de Paris à la Province. Ce que j’ai apprécié est qu’au lieu de vous concentrer uniquement sur le côté politique et révolutionnaire, vous avez choisis d’y intégrer des gens issus de toutes les classes sociales, en explorant toute une sphère avec de la romance aussi. Est-ce que pour le coup, dans vos autres œuvres, aviez-vous déjà mélangé plusieurs thèmes, ou cela dépend de l’histoire imaginée ?

WARNAUTS : Non, je pense que ce sont des thèmes récurrents. Il y a une forme d’humanisme et de positionnement. On est pas dogmatique, ni donneur de leçons, mais on a un positionnement. Celui de remettre l’humain au centre des choses, et ça pour nous c’est fondamental. De par les rencontres et les voyages que l’on a pu faire. Une remarque que j’ai bien aimé d’un journaliste, et qu’il disait qu’il avait bien aimé et que c’était “comme on appelle chez nous, du journalisme à hauteur d’homme”.

RAIVES : On parle de relations humaines. Moi j’ai aucune certitude, je suis plutôt dans le questionnement, donc ça me semble intéressant d’avoir cette approche-là. Ce qui a intéressant dans la BD est que l’on ne donne pas tout au lecteur, et il y a cet espace blanc entre les cases – ellipse – dans lequel le lecteur peut ajouter des choses que je n’ai pas mises et c’est là où il y a une interaction intelligente et intéressante, enfin je l’espère, dans ce qu’on fait.

WARNAUTS : J’ai un atelier de bande dessinée à Saint Luc, et c’est vrai que c’est ce que je dis aux étudiants. Quand ils sont plus jeunes ils ne captent pas, c’est normal, au début ils sont plutôt « dessin dessin dessin ». Et moi je leur dis que l’endroit le plus important c’est l’espace blanc entre les cases. C’est un moment important, c’est l’imaginaire du lecteur. Et par exemple dans cet album à la fin, et un certain moment on a des gens qui nous disent il se passe ça” pour le personnage. Nous, on ne peut pas lui dire. Pour nous c’est ouvert, on ne sait pas.

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© WARNAUTS / RAIVES / EDITIONS DU LOMBARD (Dargaud-Lombard s.a.) 2018

RAIVES : On a fait un album qui s’appelle “L’innocente« , ça se termine après une  histoire longue et en même temps assez lourde avec elle qui passe la porte. Je n’ai jamais donné de fin. Et le nombre de gens qui racontent la fin, qui nous racontent ce qui se passe pour le personnage. C’est là où ça devient intéressant.

WARNAUTS : Et pour nous c’est vraiment la base. La question est toujours plus importante que la réponse. Une réponse ça enferme.

4. Dans « Sous les pavés » vous brossez le portrait d’une jeunesse aussi unique que différente. Nous avons le fils de bonne famille qui essaye de rentrer dans le mouvement protestataire (Gilles) dont la vie est toute tracée, la jeune fille simple un peu perdue par rapport à son futur (Françoise), ou encore Sarah, une jeune femme assumant totalement sa sexualité libérée et qui n’hésite pas à taper du poing pour ses idées. Comment vous sont venus de tels personnages ? J’imagine que c’est au fil de vos rencontres ?

RAIVES : Et puis c’est l’époque, 68, la charnière. C’est le moment où le monde de la France à papa bouge, c’est le début de la libération sexuelle qui n’est pas que lié à mai 68. C’est l’époque, ça bouge partout. Il y a donc ce positionnement où il fallait qu’on est des personnages qui soient représentatifs de cette possibilité. Des gens comme Gilles qui ont un avenir tout tracé qui se jouent des événements, mais qui finira par faire comme papa. Françoise qui elle a beaucoup d’idéaux, et voilà, on en sait pas ce que ça va donner mais qui en souffre. Et Sarah qui a tout compris, qui profite du moment, de l’action, et qui revendique cette liberté de corps, de parole, mais qui a aussi un milieu qui lui sert de filet de secours si jamais. Et puis le Guadeloupéen (Didier) qui a vécu des choses mais est aussi protégé.

WARNAUTS : Alors, on ne voulait pas que ce soit Franco-français. On ne voulait pas que ce soit que des Français. On voulait des gens extérieurs qui allaient donner des avis, et pas qu’il n’y ait que ce côté un peu « parisianisme ».

 

 

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Vous vouliez vraiment représenter tout ce qui fait la France, et le monde en général.

RAIVES : Au niveau du scénario on ne peut pas non plus mettre chaque nuance, on peut essayer, mais on ne pas mettre huit personnages. On fait des BD, et parfois quand on a certains retours critiques on se dit que ça a l’air encore trop compliqué. Par rapport à des films de Quentin Tarantino, par exemple Reservoir Dog, au tu sais pas où ils sont les mecs, ni de quoi ils parlent. Et là ça passe. Et en BD dès que tu fais ça, tu as encore des critiques qui te disent que c’est compliqué.

5. Pour moi le personnage le plus central, mais vraiment central, vu qu’il va montrer tout son environnement et les personnages qui l’entourent, c’est Jay le photographe américain. Alors pourquoi lui avoir donné la nationalité américaine et ce métier ?

RAIVES : L’avantage qu’il soit américain est qu’il a un regard extérieur. Il a un vécu, car finalement les événements ont démarré beaucoup plus tôt aux ´États-Unis. Ça démarre sur une rébellion et la guerre du Vietnam.  C’est précurseur. Et le fait d’être photographe est qu’il est à affût. Les images sont importantes donc c’est un personnage qui rapporte l’image et qui va aller vers ce qui se passe. C’est quelqu’un qui prend position  par son regard et pas par ses écrits, et je trouve ça intéressant parce qu’une simple image peut être plus forte. C’est même lié à l’époque. Moi le souvenir de 68, quand j’étais gamin, ce n’est pas Mai 68, c’est la guerre du Vietnam. Ce qui me reste de ça ce n’est pas le cinéma, mais les images ! Parce que tous les jours j’avais la guerre en direct, c’était bien filmé, c’était fait par des professionnels.

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© WARNAUTS / RAIVES / EDITIONS DU LOMBARD (Dargaud-Lombard s.a.) 2018

6. Vu la fin de « Sous le pavés« , pourriez-vous envisager de faire un nouveau récit autour du passé du de Jay en y mêlant son présent après « Sous les pavés » ? Parce qu’il a le potentiel d’être dans une autre BD avec sa propre histoire. Est-ce qu’un jour l’envie pourrait vous venir ?

WARNAUTS : Le potentiel, comme tu dis, on pourrait l’avoir mais comme ça pour l’instant ce n’est pas du tout envisagé. Comme on disait tout à l’heure c’est l’espace blanc, c’est au lecteur.

RAIVES : Dans le one-shot « L’Innocente« ,  les gens sont restés avec une grosse frustration en imaginant beaucoup de possibilités. Puis finalement on a récupéré le personnage de Nina dans la série « Les Temps Nouveaux » où elle apparaît après-guerre et on continue l’histoire. Mais je ne suis pas persuadé que beaucoup de gens se sont rendus compte que c’était le même personnage. Il y a des possibilités, oui, on pourrait mais j’aime bien laisser avec ce côté comme au cinéma. C’est comme un roman, tu le finis et tu aimerais bien savoir ce qu’il y a après. Mais tu dois imaginer la suite.

WARNAUTS : Quand tu vois la dernière page de notre album ce n’est pas par hasard qu’on laisse 5 centimètres de blanc.

RAIVES : Et là aussi par rapport à la fin, j’ai eu des gens en interviews qui pour eux « Sous les pavés » se termine mal. Pour eux c’est une fin noire. 

C’est comme si vous passiez les crayons et le stylo au lecteur en le laissant imaginer la suite. Certains iront dans le tragique et d’autres non.

RAIVES : Même éditorialement on a eu notre éditeur qui a dit qu’on y allait fort, mais c’est ouvert. 

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© WARNAUTS / RAIVES / EDITIONS DU LOMBARD (Dargaud-Lombard s.a.) 2018

7. En mars 1968, aux États-Unis il y a eu la manifestation pour les droits civiques avec Martin Luther King, les émeutes, puis le mois suivant on l’a abattu. Pensez-vous que les mouvements sociaux à l’époque des États-Unis ont pu influencer – sans évoquer le reste de l’Europe – le peuple français ?

RAIVES : Non, par contre le Vietnam si. Les mouvements anti-Vietnam étaient très très très forts. C’était très présent. Il faut imaginer que tous les jours à cette époque on te parle de la guerre, et que tous les jours tu voyais la guerre en direct. C’est le même direct parce que c’était monté en direct, c’est du vrai. C’est Apocalypse Now, c’est l’hélicoptère qui atterrit, les mecs qui en sorts, les cadavres, les bombardements. Tu voyais les B-59 avec les bombes qui tombaient avec le reportage qui montrait les bombes arriver par terre.

8. Avec ce qui se passe en ce moment en France, le blocage des universités, la grève des cheminots et de la SNCF, etc, on pourrait dire que l’histoire se répète et que personne n’a appris de leçons que se soit au niveau du gouvernement, sans tomber dans la même intensité de revendication. Il y a une sorte de redite, de continuité presque, où on prend les mêmes et on recommence alors que l’on est 40 ou 50 ans plus tard.

RAIVES : On fait une politique libérale qui revient sur des acquis qui ne sont pas tombés du ciel. Les grèves SNCF, étudiante, il faut remarquer qu’ils ne se battent pas pour eux, mais pour les générations futures. Le statut des cheminots, ils l’ont leur statut eux. Mais ils se battent pour ceux qui viendront après. Dans les facs c’est la même chose. C’est pour ceux qui entreront dans les facs. On en arrive à essayer d’enlever des choses pour les générations futures.

9. Est-ce que vous avez déjà un autre projet de prévu en duo pour le futur, ou une vague idée.

WARNAUTS : On est dessus.

RAIVES : Le projet est pour deux one-shots avec un personnage récurrent. C’est un polar dans les années 50 se déroulant aux États-Unis. On a déjà fait les 17 premières pages, et c’est prévu pour l’année prochaine au mois d’avril / mai. 

Donc vous reviendrez au Salon du Livre de Genève ?

RAIVES : J’espère ! J’espère que l’on aura fini, pour moi ce sera rendu fin décembre. J’en suis à la page 17 sur 56 pages, on devrait y arriver.

Au pire on demande à Genève de repousser le Salon, c’est pas grave.

WARNAUTS : (rires)

Ci-dessous des ébauches de « Purple Heart » le projet en cours du duo. Pour en voir plus rendez-vous ici.

 

 

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