Critique #011 – Mala Vida de Marc Fernandez

10.02.2017 (29)

En préparation de ma visite du Salon du Livre de Genève, ouvert depuis mercredi 25 jusqu’au dimanche 30 avril, j’ai décidé de lire le polar Mala Vida de Marc Fernandez simplement parce que ce dernier sera présent vendredi 28 et samedi 29 avril pour des rencontres et dédicaces.

Mala Vida est le premier roman solo de Marc Fernandez, qui avait écrit jusqu’ici à quatre main. Comment ? Pour mieux comprendre, un petit retour sur la vie de l’auteur s’impose. Né en 1973, l’année du coup d’état de Augusto Pinochet au Chili et deux ans avant la mort de Francisco Franco. Et si ces deux événements sont mentionnés ici ce n’est pas pour rien. Depuis son enfance, l’auteur a été bercé par la presse et le journalisme, ce qui a eu pour effet d’éveiller une vocation en lui. Pendant près de 12 ans, il a été journaliste au Courrier International, où il était en charge de parler de l’actualité de l’Espagne et de l’Amérique latine. En parallèle, Marc Fernandez s’est lancé dans l’écriture de livres en duo avec Jean-Christophe Rampal. Parmi ses écrits on trouve deux enquêtes de fonds – Pinochet, un dictateur model, La ville qui tue les femmes, – et la fiction Narco Football Club qui ravira les amoureux du ballon rond sur fond de corruption. Par la suite, pendant quatre ans, Fernandez se consacra à la revue Alibi qu’il avec son cocréateur Paolo Bevilacqua, traitant de littérature noire et d’histoires de crimes. Mais l’envie d’écrire ne le quitte pas, et c’est là qu’est né son premier roman en solo Mala Vida.

Mala Vida a pour décor l’Espagne, où la droite dure de nos jours vient de remporter les élections après douze années  sous l’air du parti socialiste. Tandis que la nostalgie des années du franquisme gagne le peuple, des crimes en séries sont perpétués avec à première vue aucun lien entre eux. Les victimes ? Des gens de pouvoirs, corrompus et œuvrant dans l’ombre alors qu’au grand jour on pourrait leur donner le bon Dieu sans confession : un homme politique, un médecin, un notaire, un banquier et une religieuse. On va alors suivre le récit du point de vue de Diego Martin, journaliste spécialisé dans les affaires criminelles qui tente de garder le cap alors qu’une purge médiatique se prépare. Quand il se décide à jeter un œil au premier meurtre, Diego est loin de se douter que son enquête va le mener au-delà d’un simple meurtre, là, où dorment les fantômes du passé, les scandales que le gouvernement et le peuple veulent oublier, celui dit des « bébés volés » de la dictature de Franco.

Mais qu’est-ce que le scandale des « bébés volés », vous demandez-vous peut-être. Place à un petit point histoire. Ce scandale est un fait réel, qui se déroula en Espagne, dans les années 40 et 50, voir jusqu’aux années 80, où plus de 30 000 bébés ont été arrachés à des familles opposées au régime, où on leur annonçait simplement que leur bébé était mort-né. Cette manœuvre cruelle avait pour but d’éradiquer la propagande anti-Franco de ses familles, pour que les enfants soient élevés dans des familles adhérentes à l’idéologie de Franco. Et là où le bât blesse est qu’il a été organisé avec la complicité de personnel hospitalier, et de certaines autorités religieuses. Dans un pays aussi croyant et pratiquant que l’Espagne on peut comprendre que moins on parle de ce scandale vieux de plus de 70 ans, mieux on se porte.

Dès les premières lignes on sent que Marc Fernandez connaît l’Espagne (et autres pays hispaniques) sur le bout des doigts, puisque rien que dans les descriptions on peut presque sentir la chaleur pesante du climat Ibérique. Le personnage de Diego déteint dans cette vision que l’on se fait du pays, alors qu’en fait il est très proche de la réalité. Cigarette entre les lèvres, mélange vodka/Schweppes lemon dans une main, et une volonté de fer dans l’autre, Diego est un homme blasé mais humain et attachant. Je n’ai pu que me prendre d’affection pour lui, de vouloir l’appuyer dans son combat, et l’accompagner dans sa solitude. Il y a aussi son amie Ana, ancienne prostituée, transsexuelle, devenue détective privée qui m’a énormément plu. Et c’est parce que ces deux personnages m’ont tellement plu, que je pourrais reprocher à l’auteur de ne pas les avoir assez étoffer à mon goût.

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Ce premier roman écrit à deux mains, et non plus à quatre, est un véritable polar sombre, intense et témoin d’un pan historique qui prend vite en haleine. À titre personnel j’avais déjà entendu parler de cette affaire douloureuse et censurée de l’histoire franquiste d’Espagne, et notamment grâce au téléfilm espagnol Les Enfants Volés (Niños robados) de 2013. Dans ce film, on suit deux jeunes femmes enceintes qui après avoir cherché refuge, l’une dans une congrégation de religieuse, l’autre dans un hospice, sont toutes deux victimes du docteur Mena à la tête d’un réseau d’adoptions illégales. En parallèle, un couple cherche à adopter un enfant en secret et va faire appel à ce fameux Mena. Un très bon téléfilm (en deux parties) que je ne peux que conseiller.

« Ceux qui se délectent d’être invités sur les plateaux, qui se donnent des titres ronflants et que le petit écran notamment aime mettre dans la lumière dès qu’un événement l’impose. Des pseudo-criminologues, des psys diplômés, d’obscures universités lointaines, des constitutionnalistes sortis d’on ne sait où, des chercheurs qui ne trouvent jamais rien. Des ‘experts’ brassant du vent, qui parlent souvent pour ne rien dire ou pour balancer des banalités enveloppées dans des mots compliqués et savants. Des ‘bons clients’ qui n’hésitent pas à se disputer violemment en direct, pour le plus grand bonheur des producteurs, des téléspectateurs et des régies publicitaires, qui peuvent vendre à prix d’or les spots de trente secondes. Un spectacle affligeant qui empêche la plupart du temps d’aller au fond des choses. Des talk-shows encouragés par le gouvernement, qui préfère que le public s’amuse, même sur des affaires graves, plutôt que de réfléchir. »

Avec sa narration fluide et bien conté, et certes peu épaisse (288 pages) Mala Vida est fort en ressenti émotionnel. Lecteur témoin de l’inimaginable, de l’homme cruel et du double tranchant de la politique, on a presque envie nous aussi de descendre dans les rues et manifester. Ce qui fait le charme du récit de Mala Vida est le côté historique et documenté que l’auteur y injecte sans pudeur. Et même si l’intrigue se dévoile assez rapidement, on s’attache, et on veut nous aussi connaître cette histoire tant cachée sous le tapis, comme la saleté que l’on ne veut laisser voir.

Mala Vida est un roman ou la fiction croise le réel, ou le polar et la politique se mélangent, pour donner un récit percutant. Le style de l’auteur est simple mais en accord avec son passé de journaliste, où l’on voit qu’il maîtrise les codes du récit, même si quelques faiblesses se font sentir. Sincèrement, j’ai tellement aimé le sujet que j’aurais pu lire 300 pages de plus à ce sujet. Et je suis certaine, qu’avec le talent de journaliste de Fernandez le sujet aurait pu donner place à une saga digne d’un Millenium de Stieg Larsson.

En conclusion, j’ai passé un très bon moment où j’ai senti mon cerveau en ébullition, ma curiosité piquée à vif, tandis que la plume de Marc Fernandez m’a doucement séduite et fait voyager. Un polar/thriller politique que je recommande même si vous n’êtes pas un adepte du genre. Et c’est avec intérêt et envie que je me pencherai sur son nouveau roman Guérilla Social Club disponible aux Éditions Préludes depuis le mois dernier.

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7 réflexions sur “Critique #011 – Mala Vida de Marc Fernandez

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  4. Je n’ai pas été emballé comme toi!😥. J’ai trouvé le thème intéressant mais très peu traité. Cela aurait mérité un roman plus dense et plus travaillé. Trop superficiel!
    Mais il plait beaucoup (ta chronique en témoigne). Ce n’est peut-être juste pas un auteur pour moi!

    Aimé par 1 personne

  5. Pingback: Mala Vida – Marc Fernandez – les cibles d'une lectrice "à visée"

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