Critique #137 – Lucky Boy de Shanthi Sekaran

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En début de semaine, je vous parlais de Nadia Hashimi avec « Pourvu que la nuit s’achève » qui évoquait la condition de la femme au Proche-Orient, sous une plume sensible mais dure. Et c’est sans le vouloir que je continue dans une même optique de sensibilisation avec un sujet brûlant de l’actualité: le statut des migrants. « Lucky Boy » évoque à travers les yeux de Solimar, jeune femme provenance du Mexique qui trouve refuge aux États-Unis. Mais enceinte et en situation irrégulière, elle va se voir arrêter par les autorités, son enfant confié à une autre famille. L’histoire poignante de l’amour de deux mères envers un même enfant. Difficile, en tant que lecteur de choisir « un camp ».

 

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Shanthi Sekaran est une auteure et éducatrice américaine connue pour ses romans The Prayer Room et Lucky Boy. Ce dernier a été publié en 2017 et nommé comme Meilleur Roman de 2017 par NPR, Barnes and Noble, Library Journal et le San Francisco Chronicle. En début d’année, les droits pour une adaptation en série télé par Eva Longoria, David Schulner et Ben Spector avant d finalement se retrouver à nouveau sur le marché. Sekaran est membre de la Portuguese Artists Colony et de la San Francisco Writters Grotto. Elle vit à Berkeley avec son mari et leurs deux enfants. Lucky Boy est son premier roman a être adaptée en français, aux éditions Milady dans leur collection Milady Littérature.

L’histoire est celle Solimar Castro Valdez, jeune fille de 18 ans , pleine d’optimisme quand elle embarque dans un périlleux voyage du Mexique aux États-Unis. Confiante dans les paroles rassurantes de son cousin qui l’attend à Berkley, en Californie, Solimar arrive des semaines plus tard, exténuée. Mais qu’elle est sa surprise quand elle découvre qu’elle est enceinte. Sans papiers, ni aucune situation stable, Soli ne peut se résoudre à avorter. Elle garde l’enfant et trouvera en lui sa force pour avancer et en croire en un meilleur avenir. Mais quand elle se retrouve incarcérée dans un centre de détention pour immigrés clandestins, son fils lui est enlevé pour être confié à Kavya, qui depuis des années tente d’avoir un enfant avec son mari. À présent, Kavya apprend à être une mère et déborde d’amour pour cet enfant qui n’est pas le sien, et dont la mère ne renoncera pas à le récupérer.

En lisant le résumé de Lucky Boy, je soupçonnais que la lecture allait être intense et pleine d’émotion. Mais je n’aurais pas cru qu’elle le serait à ce point. Je vous le donne dans le mille, ce bouquin a été un coup de cœur et un véritable ascenseur émotionnel. Tout de suite on sait que cet amour déchirant de deux mères envers un seul enfant va soulever en nous quelque chose de fort, peu importe que l’on soit une mère ou non. Ce livre n’est pas sans rappeler les informations d’il y a quelques mois, qui voyait les familles d’immigrants clandestins séparées de force par les autorités américaines sous ordre du Président. Des centaines et des centaines d’enfants de tout âge – souvent des bébés – se sont alors retrouvés arrachés à leur mère et proches. On revoit facilement ces personnes attendant dans des hangars séparés par un grillage, les enfants qui pleurent le manque de la chaleur de leur mère. Lucky Boy se place dans ce contexte, où la lecture scindera notre cœur en deux.

Elle trouvait du réconfort dans ses souvenirs d’Ignacio, dans les détails de sa personne : la tache de naissance sur sa cuisse potelée, ses deux dents naissantes, sa manie d’attraper le manche du balai lorsqu’elle l’avait en mains. Le flux était incontrôlable. Elle repensait à toute ses fois où elle l’avait posé sur le sol malgré ses larmes, car elle avait de la vaisselle à faire et des oignons à émincer, aux fois où ses neuf kilos lui avaient parus trop lourds, où elle n’aspirait qu’à se mouvoir sans entrave, à la liberté de s’affaler sur un canapé avec un verre d’eau fraîche et de rêvasser paresseusement. Elle pensait à ses petits bras tendus vers elle, à sa façon d’appuyer le front contre le sol et de pleurer, théâtral et inconsolable. Ces nuits-là, lorsqu’elle s’abandonnait, elle rêvait de son petit corps blotti contre le sien, moelleux mais tonique, à ce poids qui lui faisait mal aux épaules.

D’un côté nous avons Solimar, jeune femme un peu naïve ne parlant pas un mot d’anglais, qui va vite déchanter quand la réalité du “rêve américain” la giflera en pleine face. Après avoir connu des hauts et beaucoup de bas durant son voyage – oui je laisse cette partie vague, à vous de découvrir ce qui se passe en lisant – sa grossesse est une surprise, mais qu’elle décidera de mener à terme. Difficile d’élever un enfant quand on est seule et que nous n’avons pas de statu légal. La peur est constante, mais Soli tient bon, pour son fils, Ignacio. Lui, est placé dans une famille d’accueil d’origine indienne, sous le tendre regard de Kavya et Rishi Reddy. Le couple a beau essayer de concevoir depuis des années, cela échoue, menaçant de plus en plus la survie de leur couple et leur propre personne. Ignacio arrive donc comme une bénédiction. Et c’est là, que le lecteur se voir partagé en deux. Les Reddy sont des gens bien, des parents aimants et qui trouvent en l’amour pour le petit garçon une nouvelle vie, où les émotions et les imprévus sont nombreux mais toujours vécus avec le sourire. Mais dans son centre de détention, Soli attend son éventuelle expulsion. Sa détermination face aux coups durs de la vie est admirable et exemplaire. Elle aussi aime son fils, c’est une mère qui fera tout pour le retrouver, quitte à remuer ciel et terre. Vous voyez le problème ? Si l’on est pour que Solimar récupère son fils et puisse vivre où que ce soit avec lui, nous sommes aussi partagés par l’amour de Kavya envers celui qu’elle considère comme son fils.

Pour la première fois, elle se mit à observer les enfants. Les bébés. Sa poitrine se serra à leur vue. Elle aurait voulu en tenir un contre son cœur, sentir le poids doux et chaud d’un nouveau-né dans ses bras. Aimer et être aimée. Concocter une vie toute neuve à partir de son propre sang, de son propre corps. Devenir le foyer d’un être, un nid rassurant et doux dans un monde aux contours tranchants.

Ce que j’écris ici n’est qu’une infime partie de ce qui se passe dans ce roman, et que je m’efforce de ne pas dévoiler, car il doit être découvert avec le moins d’informations possible. Que vous dire de plus si ce n’est d’aller le lire. Shanthi Sekaran écrit une histoire qui est le reflet de celle de milliers de femmes à travers le monde tentent de fuir leur pays et trouver refuge sous une autre nation présentée comme humaine. L’auteure veille à présenter ce que l’oeil du grand public ne connaît pas. Comme la glace que l’on ne voit pas sous la pointe qui flotte hors de l’eau en plein océan. Et on sait ce qui se passe quand on entre en collision avec, allez le demander aux passagers du Titanic. Image bizarre non ? Pourtant, Lucky Boy est le reflet d’une politique à double tranchant, et dont celle qui coupe est bien cachée. Les émotions sont énormes durant la lecture, et la plume douce, réaliste, mais parfois dure, contribue à cette avalanche de sentiments. On lit, mais on ne comprend pas ce qui ne tourne pas rond dans ce monde. Pourquoi arracher un enfant à une mère alors qu’elle n’a rien fait de mal ? Comment ceux qui décident ces lois peuvent-il se regarder dans un miroir chaque jour ?

En conclusion, Lucky Boy est le roman de la rentrée qu’il faut lire selon moi, tant il colle avec ce qui se passe chaque jour et cela depuis bien trop longtemps. Shanthi Sekaran a écrit un roman plein de compassion traitant de l’amour d’une mère, et ce qu’un enfant peut représenter dans une vie quand nous avons passé des moments cruels. Impossible de lâcher cette histoire avant la dernière page, parole de lectrice. 

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