Critique #122 – Une fille facile de Louise O’Neill

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C’est bien connu, si tu t’habilles de façon sexy ou porte un décolleté c’est une invitation « open bar » à être pelotée, sifflée, abordée sans tacts et pire une incitation à être abusée sexuellement. Si j’espère que ceux qui lisent ces lignes actuellement ne possèdent pas cet état d’esprit, je sais que beaucoup (trop) le pensent. Et c’est là le fond du problème. Dans une société louant le traitement d’un humain envers un autre humain avec dignité et scandé à qui veut l’entendre, la vérité est autre. Derrière les préjugés, les sourires faux, les regards indiscrets, et le silence se cachent de nombreux travers comme la culture du viol. Tabou or not tabou ? La question est complexe et chacun y va se de petit mot. Certains par conviction de la preuve de barbarie, et d’autres pour briller près de la machine à café. Une fille facile de Louise O’Neill est là pour nous ouvrir le débat, remettre en question la plus intime parcelle de nous face aux victimes que l’on pointe du doigt comme étant les instigatrices de leur propre agression sexuelle et psychologie. 

 

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Merci à Anne-Catherine pour ce coup de poing en plein ventre dicté par la plume vive de l’auteure


Louise O’Neill est une auteure irlandaise née en 1985 écrivant principalement du young adult. Elle est détentrice d’une licence en littérature anglaise au Trinitiy College de Dublin, et d’un diplôme de marketing de mode. Louise O’Neill travaille également comme journaliste freelance pour divers magazines dont le Irish Examiner parlant du féminisme, de la pop culture et de la mode. Elle a par ailleurs été l’assistante de Kate Lanphear, directrice senior du Elle Magazine. Son premier roman Only Ever Eyes fut publié en 2014 et remporta trois prix celui du Sunday Independent dans la catégorie “Nouveaux Auteurs” de la même année. Suivirent I Call Myself A Feminist (2016), et dernièrement Almost Love et The Surface Breaks. Une fille facile, Asking for It en VO, est paru en 2015 et se voit à présent arriver sur les étagères francophones via la maison d’Éditions Stéphane Marsan.

L’histoire est celle d’Emma Donovan, une jeune fille de 18 ans vivant dans la petite ville de Ballinatoom en Irlande. Au lycée, Emma se fait dévorer des yeux par les garçons et jalouser par les filles. Arrogante et populaire, elle se voit déjà un avenir brillant. Un soir de fête sous les yeux de tous, elle est là, sa beauté exposée … mais ce soir-là devient vite un point noir indélébile dans la vie d’Emma, qui ne sera plus jamais la même. Le lendemain matin, la lycéenne se réveille sur le porche de sa maison, sans aucun souvenir de ce qui s’est passé la veille et comment elle a atterri là. Elle ne comprend pas pourquoi son corps est endolori. Mais tous les autres le savent. Les photos prisent durant la fête se retrouvent sur les réseaux sociaux, commentées en masse, et où aucun détail de ce qu’a subi Emma ne soit tue.

Il est préférable de vous dire que ce livre est une claque. Non, plus que ça. Un coup de massue plutôt. Il aborde des thèmes difficiles mais tellement actuels comme le viol, le slutshaming, le harcèlement, la dépression, le suicide… Une lecture qui ne doit pas se retrouver entre les mains des plus sensibles, mais qui se doit d’être lue par le plus grand nombres. Après la lecture nous sommes lessivés, perturbés, en colère et bouleversés. Nous ne nous appelons pas Emma, nous ne partageons pas sa vie de fiction mais nous la ressentons entre nos muscles. Sa douleur et ses peurs sont les nôtres et on a envie d’envoyer au diable toutes ces personnes assassines. En réalité, Emma pourrait être – par le plus grand des malheurs – vous, moi, la voisine, notre sœur, notre mère, notre cousine, notre amie, notre collègue, la femme dans le bus, la banquière, l’adolescente populaire ou impopulaire… c’est une femme. Non, un humain. Mais ce qu’elle vit n’a rien d’humain. Les propos tenus à son égard sans se cacher ne le sont pas non plus. Barbare. Violent. Pourtant Emma n’est pas un personnage que l’on va aimer au premier abord. Hautaine, ambitieuse, prenant les gens de hauts, se moquant de ceux n’appartenant pas à l’élite sociale et scolaire où elle évolue. Mais c’est un choix de l’auteure, évidemment. Elle est là pour faire voler en éclats nos préjugés, et ça marche.

Je me demande si elle le pense encore. Peut-être qu’elle regrette que je ne sois pas morte, moi aussi. Est-ce que ce chagrin aurait été plus simple que celui de me regarder tous les jours en sachant qu’il ne s’agit que d’une coquille, qu’Emmie, la véritable Emmie ne reviendrait pas, et qu’il y avait une nouvelle Emma qu’elle devrait entièrement réapprendre à aimer ?

Une fille facile pose de multiples questions comme celle du comportement des hommes n’ayant aucun respect pour les femmes qu’ils osent décrire comme des p*tes simplement parce qu’elles aiment séduire, se faire belle, discuter et parce qu’elle porte des robes sexy. Est-ce que cela est une invitation à disposer du corps féminin comme s’il n’était qu’un simple objet fait pour satisfaire les besoins primaires d’une bête (et non d’un homme) ? Louise O’Neill met en scène un personnage qui a tout pour qu’on ne l’apprécie pas, mais est-ce que cela rend justifiable ce qu’elle vit ? Certainement pas. Est-ce que son statut de victime se doit d’être retourné contre elle pour qu’elle endosse le masque de coupable ? Et coupable de quoi ? D’avoir été une femme comme vous et moi avec ses défauts et ses qualités ? Les langues se délient, la jugent et la condamnent.

La culture du viol au sein de la société est abordée de front de par ce qui arrive à Emma. Les avis s’entrechoquent les uns aux autres, les larmes étranglent, la rage picote le cœur, et les masques tombent tour à tour. Au milieu de l’injustice il y a Emma. Comment va-t-elle faire pour se reconstruire ? Peut-elle réellement y arriver ? Les regards autour d’elles, les chuchotements, les rires, rien n’est fait pour l’aider. Et nous le lecteur, les bras nous en tombent. On est impuissant et on n’aime pas ça. Au fil des mots, O’Neill pousse le lecteur à se remettre en question, et on ne peut y échapper. Les sujets sont bien trop vifs et présents autour de nous, dans la presse, les séries télévisées, les films, les discours, etc. pour que l’on puisse tourner la tête et regarder ailleurs. Et puis, il ne faut pas. Il faut ouvrir les yeux et en parler.

« On dirait que « Rape Me» de Nirvana est l’hymne de la soirée. »

Vingt personnes ont liké cette phrase. Je fais défiler les noms. Et je les connais tous. Des captures d’écran de Snapchats, les unes après les autres. […] « Certaines personnes méritent de se faire pisser dessus. » Cinq likes. Six. Non, dix, douze, quinze. Vingt. Vingt-cinq.

La plume de Louise O’Neill aborde les différents sujets avec justesse pour en parler au mieux. Il n’y a pas d’exagération mais simplement la triste vérité d’une société qui refuse parfois de voir ce qu’il y a devant elle, et préférant se cacher derrière des mots assassins que l’on chuchote ou crie haut et fort. De plus, malgré la dureté du récit, la fluidité et le choix des mots peuvent permettre aux adolescents en âge de comprendre de lire ce récit. Surtout qu’elle représente une étape importante de la vie où les questions liées au sexe sont quotidiennes.

En conclusion, Une fille facile de Louise O’Neill est une lecture à mettre entre les mains de chacun, sans distinction de sexe. Qui plus est elle est en accord parfait avec l’actualité remplie de #MeToo et #BalanceTonPorc, mais aussi de changements de loi par les gouvernements qui ne cessent de remettre en question la frontière entre le consentement et le refus. La victime devient bourreau et les témoins des charognes. Une lecture difficile mais nécessaire qui aura été un violent coup de cœur pour moi de la même manière qu’avait été Je suis une fille de l’hiver de Laurie Halse Anderson abordant l’anorexie, ou Qui je suis de Mindy Mejia

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19 réflexions sur “Critique #122 – Une fille facile de Louise O’Neill

  1. Je suis heureuse qu’un éditeur français ait eu le courage de traduire ce roman, que j’avais lu en VO. Et je suis contente que la traduction ait l’air aussi puissante. Je trouve dommage que le livre soit présenté comme «adulte». Il est violent, mais c’est nécessaire, et ça aurait été bien qu’il soit présenté comme roman ado comme dans les pays anglo-saxons. J’espère qu’il aura un beau parcours en français, et qu’il sera relayé sur les réseaux.

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    • Je suis contente de l’avoir dit malgré les émotions par lesquelles je suis passée. Je ne regrette pas. Et c’est vrai que c’est dommage que ce soit en « adulte » mais bon, c’est déjà très bien qu’il soit enfin traduit en VF vu le sujet. Après c’est aux gens de le recommander. Genre, les gens qui ont aimé 13 reasons why le livre ou la série, peuvent facilement lire Une fille facile je pense !

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  2. La société est d’autant plus violente qu’elle se cache derrière les réseaux sociaux, pense de ce fait être anonyme et protégée par l’écran…
    Il faut absolument que je découvre ce livre. Merci pour la chronique !

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  3. Très jolie chronique!! 🙂 Ce sujet m’intéresse vraiment beaucoup! Une des amies de mes soeurs qui a fait criminologie avait choisi ce genre de sujet comme thème de mémoire! C’était dingue ce qu’elle racontait à ce propos, les exemples qu’elle nous a donné étaient vraiment à vomir, tant les victimes étaient à chaque fois rabaissée et évidement, le violeur que très très rarement puni pour son crime…!

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    • Fonce fonce fonce ! Vraiment ce livre est d’utilisé public, il faut en parler ect. Je comprends que tu es « peur » mais c’est nécessaire de découvrir ce qui se passe. Tu va passer par pas mal d’émotions durant la lecture, et crois mois il continue de me hanter. Il sera à coup sûr dans mon top de 2018.
      Dis moi, si tu te décides à la prendre, je SAIS que tu l’aimeras, et je seras curieuse d’avoir ton avis

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